Ceci est une histoire originale née dans l’imaginaire et rédigée par le Samouraï des mots.
Est-ce que vous êtes seul ?
Ce n’est pas pour débarquer chez vous à l’improviste. Mais disons que je tiens à ce que cette histoire reste entre nous.
De peur de finir dans un asile, je n’en ai jamais parlé à personne.
Même ma femme, que j’entends ronfler sur le canapé du salon, n’est pas au courant. Idem pour mes amis ou ma famille.
Personne ne sait.
Ce podcast anonyme est l’unique moyen que j’ai trouvé de soulager ma conscience. Alors, j’ai besoin d’être sûr que vous ne me lâcherez pas. Ça doit rester entre vous et moi.
Appelez-moi Mister J.
Quoi, vous pensiez que j’allais vous dévoiler mon véritable nom ? Ne soyez pas cinglé !
Continuons notre histoire.
Quand j’avais six ans, mes parents ont quitté Yaoundé pour s’installer à New-York.
Je n’ai pas réellement de souvenirs du Cameroun, mon pays natal. Mes parents en parlent toujours avec des étoiles dans les yeux mais moi… Disons que la Grosse Pomme a volé mon cœur.
L’année passée, le grand frère de ma mère a rendu l’âme.
Il a vécu et pas qu’un peu. 96 ans sur Terre. Trois mariages. Douze enfants. Et une carrière à faire pâlir d’envie les startuppers de la Silicon Valley. Tonton était une vraie Rockstar.
Pour lui dire au revoir, ma famille et moi sommes repartis au Cameroun.
Après 25 ans à l’étranger, je foulais de nouveau la terre de mes ancêtres.
Je vais vous épargner les cris des retrouvailles et la visite des lieux historiques. Après tout, si vous étiez en train de planifier un séjour au Cameroun, vous ne seriez pas là.
Non. Avançons rapidement à l’avant-dernier jour de mon séjour.
Avant de rentrer à New-York, il a un endroit que je voulais absolument visiter : Kribi et ses plages de sable blanc.
Mon père, ma mère, mes frères, ma femme et moi avons loué une magnifique villa en bordure de mer.
Depuis le balcon de ma chambre, j’entendais les vagues s’écraser sur le rivage. Ça me changeait de New York où les klaxons des voitures font office de réveil.
Une nuit, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai été happé hors de mon sommeil.
C’est là que je l’ai entendu.
Entre deux bruits de vague, une femme chantonnait.
Sa voix était d’une douceur. Ah… C’est difficile à décrire. Et même si je ne distinguais pas nettement les mots, j’avais une impression de déjà-vu.
J’ai rapidement jeté un coup d’œil à mon smartphone. 02 h 36. Ouais… J’aurais dû retourner dans les mondes de Morphée. Mais bon, je suis d’un naturel curieux.
Au lieu de me recoucher à côté de ma femme, j’ai enfilé mes sandales et suis sorti.
Porté par la mélodie, j’avançais lentement vers l’océan. Heureusement, c’était un soir de pleine lune. Du coup, je voyais presque aussi bien qu’en plein jour.
Qui donc chantait aussi bien ? Où était cette soprano à la voix de cristal ?
J’ai regardé à gauche. Personne.
À droite. Toujours rien.
D’ailleurs, c’était un peu étrange.
Plus je me rapprochais, plus j’avais l’impression que la chanson venait de l’océan.
Bizarre…
Vu que je suis têtu comme une mule, je me suis rapproché de l’écume.
Un pas… Deux pas… Trois pas… Avant que je ne m’en rende compte, mes orteils ont été balayés par une eau particulièrement fraîche.
Par réflexe, j’ai poussé un cri et sursauté.
Eau + sandales + nuit. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que je suis retrouvé avec les fesses à même le sol.
Heureusement que personne n’était là pour assister à mon humiliation…
Alors que j’étais sur le point de me relever, l’éclat de lune a rebondi sur un objet brillant.
Entre mes jambes se trouvait un petit peigne doré. Par réflexe, je l’ai ramassé et me suis levé.
Alors que je le regardais sous tous les angles, une femme s’est adressée à moi :
« Tu veux bien me ramener mon peigne ? ».
Cette voix ! C’était la même que celle de la chanson.
D’ailleurs, la mélodie s’était arrêtée.
« Oui, bien sûr. Où est-ce que tu es ? ».
Pour seule réponse, j’entendis un petit rire taquin.
« Essaie de deviner ».
« Je ne sais pas. C’est la nuit et je ne vois pas bien ».
« Ah bon ? Suis ma voix ».
Elle se remit à chanter.
Tel un automate, j’ai avancé au son de sa voix.
Le souci, c’est que mes pas me guidaient vers l’océan.
J’aurais dû arrêter mais je n’arrivai pas à me contrôler. Le peigne dans une main, le regard sur l’horizon, je m’enfonçai toujours un peu plus.
Très vite, l’eau m’arrivait à mi-mollets.
Quelques secondes plus tard, ce sont mes genoux qui s’enfonçaient dans les abysses.
Un claquement de doigts plus tard, l’eau m’arrivait à la taille.
Et pourtant, je continuai de progresser.
Tout à coup, la voix de ma femme a retenti au long.
« J. Où es-tu ? ».
Ses cris m’ont sorti de mon état second.
Par réflexe, je me suis retourné vers la villa. Et c’est là que j’ai réalisé que le rivage était bien loin.
Je ne sais pas pourquoi mais j’ai ensuite regardé l’océan. À cet instant précis, j’ai vu qui m’appelait.
À une dizaine de mètres, allongée sur un rocher, une femme me fixait avec un regard joueur.
Sa longue chevelure ondulée rebondissait sur sa peau ébène. Couverte de bijoux, elle s’amusait à guetter son reflet dans un miroir doré.
Mais le plus surprenant, c’est qu’elle n’avait pas de jambes. Non. Elle possédait une immense queue de poisson.
À ce moment, j’ai failli faire dans mon froc.
Quand on regarde Ariel de Disney, on se dit que rencontrer une sirène serait trop cool. Mon œil, oui… Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie.
Vu que je ne suis pas complétement débile, j’ai compris ce qui m’attendait.
Les pêcheurs de Kribi nous avaient conté les péripéties de Mamie Wata.
Mi-femme, mi-poisson, cette créature mystique attire les hommes loin des plages. Et une fois qu’ils n’ont plus pied, elle le traîne dans les profondeurs. Qu’en fait-elle exactement ? Nul ne le sait. Et ce n’est pas moi qui allais lever le voile sur ce mystère.
La Mamie Wata m’a regardé.
Quand son regard s’est plongé dans le mien, elle a compris que sa mélodie ne fonctionnait plus.
A-t-elle lâché l’affaire ? Oh que non.
Elle a souri et avec un air moqueur, m’a dit : « Tu ne me ramènes pas mon peigne ? ».
Sans attendre ma réponse, la sirène africaine est descendue de rocher et a plongé dans l’océan.
Cette histoire était sur le point de mal finir. Pour moi.
J’ai tourné les talons et couru aussi vite que j’ai pu vers la plage.
Et quand je dis courir… Dans les faits, j’étais plus en mode « marche rapide ».
Ne me jugez pas. J’étais paniqué, essoufflé et surtout, je luttais contre les vagues qui essaient de me pousser au loin.
Après ce qui m’a paru une éternité, mes pieds ont foulé le sable.
Seigneur, j’ai failli avoir une crise cardiaque tellement mon cœur battait.
Je me suis éloigné aussi vite que possible de la berge. Et alors que j’avais mis deux-trois mètres entre l’écume et moi, je l’ai entendu encore une fois : « Mince… On dirait que ce n’est pas pour cette fois. ».
Suivi d’un petit rire coquet.
Parce que je suis comme je suis, je me suis retourné. Encore une fois.
Pile à l’endroit où l’eau s’arrêtait à mes genoux, la Mamie Wata se dressait sur sa queue.
Une fois de plus, elle rit.
Ensuite, avec beaucoup de grâce, elle tendit le bras vers moi et ouvrit sa main :
« Tu veux bien me rendre mon peigne ? J’en ai besoin pour me coiffer ».
Ah, ce fichu peigne.
Par peur qu’elle ne décide de me suivre, je l’ai lancé vers elle avec toute la force de mon désespoir.
Il est tombé quelques centimètres devant elle.
La Mamie Wata a baissé les yeux vers lui puis vers moi. Et c’est là qu’elle m’a fait un large sourire, dévoilant d’immenses dents de requin.
Je n’ai jamais aussi couru vite de ma vie.
Je suis rentré chez moi, a verrouillé la porte et foncé dans mon lit.
Surprise, ma femme m’a demandé où j’étais et pourquoi j’étais mouillé. Lui dire la vérité ? Non. Jamais elle n’aurait cru qu’une sirène venait d’essayer de me tuer. Alors, j’ai menti.
Pour tout le monde, ce soir-là, je suis parti marcher en bord de mer et ai été surpris par une vague.
Il n’y a que vous et moi qui connaissions la vérité.
Depuis lors, j’évite les plages. Si de telles créatures rôdent à Kribi, qui sait quels autres monstres sont tapis dans l’ombre ?